La légitimité de la loi positive

La loi morale ou religieuse peut être jugée par certains aussi légitime, voire plus légitime que la loi juridique.

C'est le prototype du conflit entre loi positive et loi morale ou religieuse dont nous avons trouvé un archétype dans l'opposition tragique entre Antigone, qui veut obéir à la loi sacrée d'offrir à son frère Polynice une sépulture, alors qu'il est livré aux charognards, et son oncle Créon, devenu roi, qui ordonne, conformément à la loi de la Cité, de ne pas enterrer ceux qui, comme Polynice, lui ont été rebelles. Antigone juge que la loi de Créon ne résulte que de l'arbitraire des hommes et ne vaut que de façon conventionnelle, pour un temps et un lieu, alors que la loi divine vaudrait en tous lieux et de toute éternité, en raison de la nature humaine, de sa dignité inaliénable.

Cependant, cette approche ne paraît-elle pas, en seconde analyse, superficielle et inconsistante ?

À supposer que des instances supérieures telles qu'une "loi morale" ou une "loi religieuse" existent et soient légitimes, ce qui est possible mais indémontrable, et partant incertain, elles peuvent justifier subjectivement qu'un individu veuille désobéir aux lois ou refuser de s'y plier, mais elles ne suspendent pas de ce seul fait la validité politique et juridique des lois.

Ainsi, on ne tire rien, pour penser la justice, du conflit entre Antigone et Créon si on l'interprète comme un simple conflit entre des valeurs opposées, qui seraient représentées d'un côté par les lois de lʼÉtat, et de l'autre par de prétendues lois de la conscience.

Cette approche est en effet à la fois naïve et superficielle en ceci que, en réalité, les valeurs défendues par Antigone sont également protégées, et même défendues par Créon et quʼelles ne sʼopposent pas. Dans un État de droit, des instances morales ou religieuses ne peuvent en effet exister comme telles qui si elles sont reconnues et protégées par le droit : elles tirent leur droit de lui seul.

À ce titre, l'État apparaît comme le principe juridique de toute légitimité.